Cet article sur la médiation et l’hosptalisation est écrit sur la base d’une intervention de Stéphanie Montavon. Le docteur Montavon est psychiatre spécialisée dans la prise en charge de l’anorexie au CHU de Brest – Bohars
Il va falloir aider au processus de séparation puisque c’est le fond du problème, et cela par la médiation.
Cette médiation passe d’abord essentiellement par les soignants au travers de leurs modalités d’intervention et de leurs relations avec le malade.
Elle passe ensuite par un contrat avec ce malade,
un contrat qui fonctionne en général de manière satisfaisante à condition que le malade l’accepte dans une relation de confiance. On ne peut pas contraindre à la psychothérapie. Le consentement et l’adhésion active du patient est nécessaire. On est néanmoins, à un autre niveau, amené à négocier, « imposer » la soumission du patient à des contraintes. L’objectif est de contrer les contraintes que l’anorexique s’impose à lui-même. La principale des contraintes que l’anorexique s’impose est de ne pas manger.
Cela se fait de façon non culpabilisante dans le sens où ce n’est pas le malade qui décide de se ré alimenter, c’est l’autre qui l’impose. Le proposer contractuellement permet une meilleure acceptation au niveau psychique.
C’est comme si on mettait un pare feu tangible pour aider l’anorexique à se libérer un peu sur le plan psychique et à progressivement se relâcher, à se libérer des contraintes qu’il s’impose. L’objectif est d’amener le malade à exprimer des émotions qu’il retient, à les extérioriser. Il faut qu’il en arrive à pouvoir aller vers les autres. Il faut en fait qu’il se « se relâche » pour arriver à un processus dépressif que le thérapeute attend pour pouvoir agir.
L’objectif thérapeutique va alors être d’agir sur la fragilité narcissique pour chercher à ce qu’elle soit bien « compensée ».
Cette fragilité que la personne a eue à la naissance ne disparaîtra pas, mais si elle est bien compensée on pourra aboutir à ce qu’on appelle la guérison.
En arrivant chez le psychiatre ou en clinique ces patients ont souvent un comportement de maîtrise d’eux-mêmes qui cherche à laisser transparaître que tout va bien. Il n’y a pas beaucoup d’affect, peu d’émotion , que ce soit dans les paroles ou sur le visage.
Le malade a un peu une attitude de robot. Quoi qu’on lui fasse, que ce soit gai ou triste, tout semble finalement lui couler dessus comme s’il n’avait rien à dire, comme s’il ne ressentait rien. Il n’est pas vrai que le patient ne ressent rien, mais il n’arrive pas à l’extérioriser, à le montrer.
Tout le travail du thérapeute est alors de provoquer la survenue de l’épisode un peu « dépressif » qui montrera que le patient se relâche, qu’il devient plus authentique dans son comportement. C’est à ce moment là qu’il sera possible d’agir parce qu’il sera plus à même d’entendre. La dépression est une évolution normale, et favorable.
Le psychiatre va alors chercher à ce que le patient soit plus à l’écoute de ses émotions, à ce qu’il les extériorise sans que cela lui paraisse dangereux. Pourquoi les ressent-il comme dangereuses ? Parce qu’elles sont menaçantes ! Cette personnalité fragile se sent menacée par beaucoup de choses, par les autres, par le désir, par les émotions. Tout la menace.
Alors plutôt que d’être menacée en permanence, ce qui est difficile à vivre, elle refoule finalement tout. C’est pour cela qu’on dit que ces personnes « contiennent tout ». C’est vraiment et finalement pour se protéger.
L’idée même de s’exprimer et d’abandonner le trouble du comportement va être très menaçante pour le malade. C’est la raison pour laquelle l’accompagnement soignant est important lorsqu’on va chercher à combler ce qui est en fait une faille narcissique.
Aider à compenser le trouble à l’âge adulte est parfois plus difficile parce que les thérapeutes sont confrontés à un problème d’identification de soi ancré depuis plus ou moins longtemps. Il faudra aider la personne à se sentir suffisamment compétente pour faire rejaillir au moment où elle en aura besoin les compensations qui lui permettront d’avoir une vie relationnelle satisfaisante et finalement de guérir. Parce qu’avec un peu de distance, on peut parler de guérison.
Parallèlement il faudra traiter la fonction à la fois pathogène et thérapeutique de l’environnement familial. La famille a un rôle dans la genèse des troubles comme elle a un rôle à jouer dans le soin. Il faut donc s’attacher à traiter les deux aspects.
L’isolement thérapeutique pour une reconstruction
Hors urgence pour reprise de poids l’hospitalisation doit s’envisager dans une perspective de reconstruction. Dans l’idéal elle doit être préparée en accord réfléchi avec le patient et sa famille. Elle requiert l’adhésion du patient quant au processus de soins proposé, même s’il n’en comprend pas bien les tenants et aboutissants. Son succès nécessite une confiance quasi absolue dans les chances de réussite du programme de soins proposé. Et ce programme peut présenter des aspects très durs.
Le recours à l’hospitalisation est malheureusement en général assez tardif parce qu’il y a pendant longtemps non-conscience des troubles chez le malade. La personne dira qu’elle va très bien et n’a aucun problème.
Parallèlement la famille tolère de vivre des situations « a normale » et supporte des comportements toujours plus contraignants. Tout cela est progressif et la dérive se fait plus ou moins sans que les proches n’en réalisent tout de suite la portée. Ils sont pris dans le processus et s’adaptent à l’évolution des situations. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette capacité de l’entourage à accepter tout ce qu’induit le patient, mais celle de vouloir éviter les conflits en est sans doute une principale.
Tout est interaction dans la famille et le patient induit beaucoup de dérives. Pour envisager favorablement les soins, il faut préalablement une prise de conscience à la fois de l’entourage et de la patiente. Il n’est pas rare que le psychiatre soit consulté plus d’un an après que les protagonistes aient réalisé l’existence et l’importance du trouble.
L’entourage n’en vient souvent, malheureusement, à consulter qu’à partir du moment où ils se sentent débordés par la situation et réalisent qu’ils ne s’en sortiront pas sans aide extérieure.
Ils recherchent alors des solutions d’urgence sans qu’il y ait nécessairement urgence pour le patient dans la mesure où la maladie est en fait installée. La seule urgence existe quand elle est physiquement vitale et dans ce cas les patients ne ressortent pas prioritairement de la psychiatrie. S’il y a vraiment une urgence somatique, physique, il faut une prise en charge en médecine et l’hospitalisation psychiatrique se fait alors à distance ou quand la personne n’a plus de perfusion.
Beaucoup de psychiatres ne prennent pas en charge les malades dans ces moments là parce qu’il leur paraît difficile d’assumer conjointement soins physiologiques et écoute. Ce sont deux tableaux complètement différents et la reprise d’une forme physique minimale prime sur le traitement spécifiquement psychiatrique.
Par l’hospitalisation on introduit une trêve dans le schéma dysfonctionnel des relations familiales..
Sa première fonction est alors de mettre un petit peu de distance entre les protagonistes parce qu’autant il est difficile de se séparer, autant il arrive un moment où il n’y a plus moyen de faire autrement. La séparation permet d’assainir un petit peu les choses, de rompre avec les conflits, l’inquiétude, la surveillance,….
Le contrat mis en place si possible dans les premiers jours entre le malade, les soignants et les proches traite du problème de poids certes, mais inclut surtout une médiation dans la relation entre le malade et sa famille. On essaie de se mettre tous d’accord sur un programme de soins qui doit être accepté et auquel l’ensemble des parties doit adhérer pour son succès.
Sur le plan thérapeutique, la séparation permet d’amorcer une phase de séparation psychique, la séparation individuation. Cette séparation psychique est parfois si difficile à faire qu’il faut parfois en passer par la séparation physique. Cette séparation vise à faciliter la maturation affective et l’individuation. Cela permet aussi d’ouvrir la porte à la création d’autres relations.
Cette séparation ne peut souvent se faire qu’à l’hôpital ou dans un milieu complètement étranger à la famille. Chez une tante ou un oncle cela a très peu de chances de fonctionner parce qu’il y a encore trop de liens affectifs. Des expériences anglosaxonnes se sont développées avec des familles d’accueil pour éviter des hospitalisations parfois mal vécues, mais cela n’existe pas en France.
La prise en charge de l’anorexique ne peut se concevoir sans prise en charge de la famille.
On peut parler de pathologie des interactions dans le système familial d’une part de dysfonctionnement ayant une influence sur le développement de la maladie. Le rôle des parents est en partie de sécuriser son enfant pour qu’il prenne son envol. N’y a-t-il pas une vulnérabilité due non à un dysfonctionnement éducatif mais plutôt à un manque de sécurisation ?
Durant la première période de séparation en milieu hospitalier les parents sont vus seuls par le psychiatre. Puis lorsque le poids de levée de séparation est atteint les rencontres associent aussi le patient pour des entretiens familiaux parfois un peu houleux, mais qui justement lorsqu’ils sont un peu houleux, sont signe que les choses bougent et que les relations évoluent.
Le consensus apparent n’est souvent pas bon signe. Tout le monde est d’accord avec tout le monde et cela laisse souvent l’impression d’un conflit latent. Lorsque est réintroduit le conflit, c’est finalement de l’émotion et de l’humain qui réapparaît dans les relations.
Des unités hospitalières spécifiques pour l’anorexie et les troubles du comportement restent l’idéal à poursuivre. L’individualisation du trouble, la durée des séjours et le temps nécessaire au traitement poussent à le souhaiter.